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Des citoyens manifestent avec des affiches
Les Franco-Ontariens protestent contre les réductions des services en français par le gouvernement de l'Ontario à Ottawa. La Presse canadienne/Patrick Doyle

Hors Québec, le français a reculé partout au Canada depuis 1971. Quelles stratégies adopter ?

Le poids démographique des communautés francophones et acadiennes en situation minoritaire (CFASM) hors Québec a diminué au Canada ces dernières décennies. Malgré sa volonté de rectifier la situation, le gouvernement canadien se retrouve au cœur de carrefours d’influences qu’il ne contrôle pas nécessairement.

Depuis le début des années 2000, l’immigration francophone est devenue une priorité pour les CFASM. Le recrutement et l’intégration de personnes immigrantes apparaissent comme une solution pour contrer le déclin démographique de ces communautés francophones hors Québec et acadiennes dans les provinces maritimes.

La priorisation par les organismes francophones et acadiens de l’immigration francophone a donné lieu à plusieurs plans et stratégies collectives concertés avec le gouvernement canadien, ainsi qu’à une mobilisation et à une concertation des intervenantes et des intervenants dans le secteur de l’immigration.

En 2024, le gouvernement canadien a adopté une première politique en matière d’immigration francophone qui prévoit notamment le rétablissement du poids démographique des francophones hors Québec à ce qu’il était en 1971.

Cependant, comme l’a noté le Commissariat aux langues officielles (CLO) du Canada, d’autres facteurs exercent une influence sur ce poids démographique, sur lesquels le gouvernement et les organismes communautaires n’ont pas toujours de contrôle.

Il nous semble donc pertinent de nous arrêter sur la manière de « penser » le déclin démographique des CFASM. Ma collègue Josée Guignard Noël et moi (Éric Forgues) travaillons à l’Institut canadien de recherche sur les minorités linguistiques qui a comme mandat de réaliser, en collaboration avec ses partenaires, des travaux de recherche pertinents pouvant appuyer les divers intervenants des minorités de langue officielle et les artisans des politiques publiques en matière linguistique.

Le poids démographique des francophones

D’abord, comment mesure-t-on ce déclin démographique ? Le Plan d’action pour les langues officielles 2023-2028 estime que le poids démographique des francophones hors Québec, soit la proportion des francophones dans la population totale, par ailleurs défini selon la première langue officielle parlée (PLOP), est passé de 6,1 % à 3,5 % de 1971 à 2021.


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Dans ce contexte, il importe d’analyser ce déclin démographique par province (excluant le Québec) et territoire. En reprenant la méthode de calcul du gouvernement canadien, le tableau suivant montre que le poids démographique des personnes qui ont le français comme PLOP a décliné de 1971 à 2021 dans toutes les provinces et territoires à l’exception du Yukon. C’est au Nouveau-Brunswick que le poids démographique des francophones a le moins diminué (-11 %) et c’est en Saskatchewan (-69 %), à l’Île-du-Prince-Édouard (-55 %) et au Manitoba (-54 %) qu’il a le plus diminué.

Ces chiffres montrent l’ampleur de la tâche, notamment dans les provinces les plus touchées pour renverser le déclin démographique. Pour ce faire, il est essentiel d’envisager le poids démographique et les stratégies en immigration à la lumière de la vitalité des CFASM et de leur capacité à faire société.

Poids démographique et vitalité des communautés

Le poids démographique permet de dénombrer la population francophone, mais il n’indique pas à quel point un individu considéré comme francophone est intégré à la communauté francophone et participe à sa vie sociale en français. Pour maintenir son poids démographique, la francophonie doit permettre à ses membres de vivre en français et de participer à la vie communautaire en français.

Autrement dit, nous ne pouvons pas penser le poids démographique de la communauté francophone sans faire le lien avec la vitalité linguistique de cette dernière, c’est-à-dire avec la capacité des francophones de vivre et de s’épanouir en français ainsi que de participer à la vie communautaire en français. Il importe donc de concevoir le poids démographique comme une résultante de la vitalité d’une communauté linguistique et de sa capacité à intégrer ses membres (anciens et nouveaux).


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Une forte vitalité linguistique de la communauté francophone accroît les chances de maintenir le poids démographique des francophones. Elle favorise la transmission de la langue minoritaire des parents aux enfants, le maintien de leurs compétences linguistiques (par des activités de socialisation en français) et des pratiques linguistiques dans la langue minoritaire dans plusieurs sphères sociales.

En contexte minoritaire, la capacité à faire société est limitée par l’attraction qu’exerce la langue de la majorité et la disponibilité des institutions en français. Les choix linguistiques que font les francophones dans certaines situations reflètent la capacité de la communauté francophone et le désir de ses membres de faire société.

Indicateurs de la vitalité linguistique

Plusieurs indicateurs nous permettent d’analyser la capacité d’une communauté d’intégrer ses membres (anciens et nouveaux). Ces indicateurs offrent un aperçu de la participation de ses membres à la vie communautaire.

  • Langue parlée à la maison
    • Langue utilisée au travail
    • Langue des services à la petite enfance
    • Langue de scolarité des enfants et des études postsecondaires
    • Langue des loisirs, sports, activités culturelles, communautaires et artistiques des enfants et des adultes
    • Langue utilisée sur les médias numériques (médias sociaux)
    • Langue utilisée dans les services publics et commerciaux
    • Désir d’intégration dans la communauté
    • Identité et sentiment d’appartenance

Ces indicateurs de la vitalité linguistique sont influencés par des facteurs tels que la densité démographique. Plus la densité démographique est forte, et plus elle favorise des contacts sociaux dans la langue minoritaire.

Par ailleurs, la présence d’institutions et d’organismes fonctionnant en français constitue un autre facteur influençant la capacité des CFASM d’intégrer ses membres. Ceux-ci offrent des espaces de socialisation et de service en français. Pensons aux associations de loisirs, de sports, artistiques et culturelles pour les enfants et les adultes, aux entreprises qui offrent des emplois en français, au continuum de l’éducation, aux résidences pour personnes aînées, etc.

Un champ d’influence limité

Il existe des facteurs sur lesquels les gouvernements ont un pouvoir limité d’agir tel que la fécondité, qui contribue directement au poids démographique. Cependant, l’existence de services pour les familles, comme des services à la petite enfance, peut favoriser la natalité. Dans des contextes anglodominants, il lui est aussi difficile de contrer l’attraction qu’exerce l’anglais dans différentes sphères de la vie sociale (p. ex. : familiale, scolaire, cercle d’amis, de travail).


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La migration interprovinciale est un autre facteur qui peut avantager des régions aux dépens d’autres régions, tout en contribuant à l’anglicisation des migrantes et migrants qui se destinent vers des régions dépourvues de services et d’institutions francophones.

S’épanouir en français

Pour renforcer l’attraction de la langue, il faut créer et maintenir des espaces (organisations et institutions) francophones et les rendre au moins aussi attrayants que les espaces anglophones (services à la petite enfance, écoles, postsecondaire, formation en éducation, médias, médias sociaux, emplois, entreprises, institutions, services).

Les francophones doivent sentir qu’ils peuvent s’épanouir en français dans l’ensemble des sphères de la société. Cela vaut pour les nouveaux arrivants francophones dont le recrutement et l’intégration dans les CFASM constituent la pierre angulaire de leur stratégie pour rétablir leur poids démographique.

Les données de l’Enquête postcensitaire sur la population de langue officielle en situation minoritaire (EPLOSM) recueillies en 2022 et devant être diffusées prochainement présenteront un état de la vitalité linguistique des CFASM, ainsi que son évolution depuis la dernière enquête postcensitaire sur ce thème en 2006.