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Sinwar wearing Hamas scarf
John Minchillo/AP

La mort du leader du Hamas Yahya Sinouar est un moment important, mais ce n’est pas la fin de la guerre

Après l’annonce de la mort de Yahya Sinouar, Benyamin Nétanyahou est confronté à des pressions sur de multiples fronts, mais il est probable qu’il poursuive la guerre en vue de garantir la stabilité de son gouvernement.


La mort du chef du Hamas, Yahya Sinouar, l’un des cerveaux de l’horrible attaque du 7 octobre 2023 dans le sud d’Israël, est sans aucun doute un moment important dans la guerre que l’État hébreu mène depuis un an contre le Hamas.

S’agit-il d’un tournant ?

Le premier ministre israélien Benyamin Nétanyahou a déclaré que l’assassinat de Yahya Sinouar – qui était depuis longtemps un objectif majeur de Tsahal (la force militaire d’Israël) – marquerait le « début de la fin » de la guerre. Il a toutefois précisé que le conflit n’était pas terminé.

De fait, Benny Gantz, ancien ministre de la défense et membre du cabinet de guerre, a déclaré que Tsahal continueraient à opérer à Gaza « pendant les années à venir ». Dès lors, quel impact la mort de Sinouar aura-t-elle ?

Sa disparition change-t-elle la donne ?

La mort de Sinouar change au moins un aspect de la guerre. Figure emblématique, pour le meilleur et pour le pire, des Palestiniens : il était perçu comme un chef de file de la lutte contre l’État hébreu.

Tant que Sinouar était en vie, le Hamas gagnait en popularité en ce qu’il ripostait à l’attaque menée par Israël à Gaza.

Les principaux dirigeants du Hamas, Ismail Haniyeh (à gauche) et le chef du mouvement Hamas dans la bande de Gaza, Yahya Sinouar (à droite), assistent à un rassemblement du Hamas pour marquer le 30ᵉ anniversaire du groupe, à Gaza, le 14 décembre 2017.

Des sondages d‘opinion réalisés fin mai ont montré que le soutien au Hamas parmi les Palestiniens des territoires occupés avait atteint 40 %, soit une augmentation de six points en trois mois. Le soutien à l’Autorité palestinienne, qui contrôle la Cisjordanie, était environ deux fois moindre.

La disparition de Yahya Sinouar change donc le visage du Hamas, qui connaîtra un tournant majeur s’il ne parvient pas à trouver un dirigeant aussi influent pour le remplacer.

L’un des noms évoqués est celui de Khaled Mashal, l’ancien chef du bureau politique du Hamas, qui reste une figure importante au sein de l’organisation.

Le nouveau leader du Hamas pourrait saisir cette occasion pour essayer d’obtenir un cessez-le-feu avec Israël et mettre fin aux conditions de vie effroyables des Gazaouis. Mais il reste à savoir si la mort de Sinouar permet à Israël d’atteindre ses objectifs de guerre.

Qu’est-ce qui constituerait une victoire pour Benyamin Nétanyahou ?

Le problème majeur empêchant un cessez-le-feu, est que les objectifs de guerre affichés par le premier ministre israélien n’ont pas encore été atteints :

Bien que l’assassinat de Sinouar limite la capacité du Hamas à poursuivre sa guerre contre Tsahal à Gaza, les soldats israéliens y restent confrontés à d’importants problèmes.

Au cours de l’année écoulée, le Hamas est passé d’une force de combat organisée à un mode de guérilla, ce qui rend ses combattants beaucoup plus difficiles à éliminer complètement.

La doctrine classique de contre-insurrection pour combattre une guérilla consiste à « clear » (sécuriser), « hold » (tenir) et « build » (reconstruire). Autrement dit, à sécuriser une zone en la débarrassant de l’ennemi, en y positionnant des troupes pour la tenir, et puis en reconstruisant un environnement dans lequel l’ennemi ne peut pas se réimplanter.

Israël est en mesure de mettre en œuvre les parties « clear » (sécuriser) et « hold » (tenir) de cette doctrine, mais échoue à pérenniser un environnement dans lequel le Hamas ne peut plus opérer.

Les journalistes israéliens embarqués avec les forces armées de l’État hébreu ont fait remarquer que les combattants du Hamas reviennent dans des zones où ils avaient été chassés par Tsahal, en partie grâce au vaste réseau de tunnels dont ils disposent.

Autres complications pour le premier ministre israélien

Un autre problème qui se pose à Benyamin Nétanyahou est que les membres d’extrême droite de son cabinet ont menacé de démissionner de la coalition gouvernementale s’il acceptait un cessez-le-feu avant que le Hamas ne soit détruit en tant que force de combat. Ils estiment que le Hamas pourrait profiter d’un cessez-le-feu pour se regrouper et redevenir une menace sérieuse pour Israël.

Dans le même temps, le Premier ministre est aussi confronté à une pression croissante concernant le sort des otages israéliens. S’il n’y a pas de cessez-le-feu et de négociations pour les libérer, les grandes manifestations organisées en Israël par les familles et leurs partisans, au cours des derniers mois, continueront. Ces derniers veulent à tout prix récupérer les otages encore en vie et les corps de ceux qui sont décédés.

An Israeli demonstrator holding a sign reading « Sinwar’s end -- end the war »
Un manifestant israélien à Tel Aviv tient une pancarte appelant à un accord de cessez-le-feu et à la libération immédiate des otages détenus par le Hamas. Ariel Schalit/AP. Ariel Schalit/AP

Benyamin Nétanyahou pèse toujours les représailles qu‘ Israël a promises à l’Iran à la suite de son attaque de missiles contre l’État hébreu au début du mois d’octobre.

Si Israël lance une attaque d’envergure, quelle sera la réponse iranienne ? Il n’est pas évident de la définir à l’heure actuelle, dans la mesure où l’Iran s’est toujours appuyé sur un Hezbollah fort au Liban pour répondre militairement à l’État hébreu. Or, le Hezbollah est aujourd’hui considérablement affaibli par les frappes israéliennes menées au cours des dernières semaines.

Les États-Unis voient une rampe de sortie potentielle

Un autre aspect, bien sûr, est la position des États-Unis dans cette affaire. Les États-Unis ont clairement indiqué qu’ils considéraient la mort de Sinouar comme une porte de sortie pour Israël dans la bande de Gaza : Israël peut se prévaloir d’une victoire stratégique majeure et accepter un cessez-le-feu.

Ces dernières semaines, Washington a également lancé un ultimatum à Israël : si davantage d’aides humanitaires ne parviennent pas à rentrer à Gaza d’ici la fin du mois de novembre, une partie de l’aide militaire américaine octroyée à Israël serait supprimée.

Les démocrates souhaitent que la guerre se termine au plus vite, car en faisant la une des journaux, elle divise le parti et pourrait détourner certains électeurs des urnes lors de l’élection présidentielle.

Il est donc très important pour la candidate démocrate, la vice-présidente Kamala Harris, qu’il y ait un cessez-le-feu le plus rapidement possible. C’est ce qu’elle vient de déclarer :

« Le Hamas est décimé et ses dirigeants sont éliminés.Ce moment nous donne l’occasion de mettre enfin un terme à la guerre à Gaza. »

Mais Benyamin Nétanyahou a montré par le passé qu’il était tout à fait prêt à aller à l’encontre de la volonté des États-Unis. Et à ce stade, un cessez-le-feu ne lui convient pas.

Étant donné le soutien indéfectible du candidat républicain Donald Trump au premier ministre israélien, ce dernier serait également satisfait d’un retour de l’ex-président à la Maison Blanche.

Quelle est l’issue la plus probable ?

Compte tenu de tous ces facteurs, il est probable que Benyamin Nétanyahou donne la priorité à la stabilité de son gouvernement.

Il écoutera davantage ses membres d’extrême droite, issus de partis religieux – le ministre des finances Bezalel Smotrich et le ministre de la sécurité nationale Itamar Ben Gvir – au détriment des États-Unis et des familles des otages.

Après la mort de Sinouar, Bezalel Smotrich a déclaré que Tsahal devait « accroître la pression militaire intense dans la bande de Gaza », et en parallèle, Itamar Ben Gvir appelle Israël à « continuer de toutes ses forces jusqu’à la victoire absolue ».

À ce stade, il semble donc probable que la guerre se poursuive jusqu’à ce que le Premier ministre Nétanyahou puisse affirmer que le Hamas a été détruit en tant que force de combat. C’est ce que son cabinet exige pour atteindre les objectifs de guerre avancés par le gouvernement.

This article was originally published in English