Nous produisons du sirop d’érable parce que la sève des érables est naturellement sucrée. Pourtant, si elle l’était encore davantage, nous pourrions en produire plus et à moindre coût. Le prix du sirop d’érable baisserait aussi dans les supermarchés !
Cependant, tous les érables ne sont pas égaux ; certains sont bien « plus sucrés » que d’autres. Alors, pourquoi ne pas cloner ces arbres exceptionnels ?
L’érable occupe une place prépondérante dans une histoire qui unit famille, savoir-faire artisanal et nature. Au Québec, au-delà des quatre saisons habituelles, il s’en découvre une cinquième, sorte d’intermède sucré entre la froide étreinte de l’hiver et la tendre floraison du printemps – la tant attendue saison des sucres.
Cependant, la production de sirop est aussi une composante essentielle de l’économie québécoise, puisqu’elle génère des emplois et apporte des revenus significatifs. C’est pourquoi, en tant qu’écophysiologiste forestier, je m’engage à soutenir ce secteur face aux défis du changement climatique et des évolutions des marchés. Pour cette raison, dans le cadre de mes travaux de recherche à l’Université du Québec à Chicoutimi, j’examine les possibilités de cloner les érables afin d’augmenter la productivité et de réduire les coûts de production.
Le clonage végétal : Un héritage ancien
Ne vous inquiétez pas : notre sirop d’érable n’aura pas besoin d’une étiquette OGM !
Dès qu’on entend parler de « clonage », on peut être tenté de s’imaginer des laboratoires haute technologie modernes, voire carrément des scènes de science-fiction. En réalité, il s’agit ici de quelque chose de beaucoup plus naturel et ancien. Nous parlons d’une forme de clonage dite de propagation végétative, soit une méthode pour cultiver de nouvelles plantes à partir de fragments de plantes existantes, ainsi que des techniques qui copient une espèce végétale sans en modifier l’ADN.
Contrairement à ce qu’on pourrait croire, l’idée de propager des espèces végétales n’est pas récente, bien au contraire ! Pour certaines espèces, le clonage par propagation végétative était déjà une pratique ancienne même à l’époque de l’Antiquité, comme en témoignent les écrits d’Aristote (384-322 av. J.-C.) et de Pline l’Ancien (23-79 ap. J.-C.).

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Cette technique inclut le greffage, la bouture ou la culture de tissus pour produire des copies génétiques exactes – ou clones – d’une plante sans altérer son ADN. La propagation végétative permet de conserver le patrimoine génétique naturel de l’espèce tout en reproduisant des traits désirables.
Un exemple clair est donné par les variétés modernes de pommes. Après de longs processus de sélection, votre variété de pomme préférée, qu’il s’agisse d’une Granny Smith acidulée, d’une Fuji juteuse, ou d’une McIntosh sucrée, provient d’un seul arbre mère cloné et recloné par greffage.
C’est ainsi que, pour nos espèces d’érables, nous pouvons également chercher à reproduire des caractéristiques particulièrement intéressantes, comme une sève particulièrement sucrée.
Pourquoi cloner les érables ?
Tout comme les humains, les érables présentent des variabilités dans certains traits, ce qui intéresse particulièrement les productrices et producteurs de sirop. Ces derniers sont conscients de cette variabilité au sein de leur érablière, où certains arbres ont non seulement une sève plus abondante, mais également plus sucrée que d’autres. La teneur en sucre de la sève est un trait tout particulièrement recherché.
Vous êtes-vous déjà demandé quelle quantité de sève est nécessaire afin de produire votre bouteille de sirop d’érable préférée ? La réponse pourrait vous surprendre : il faut environ 40 litres de sève pour obtenir un seul litre de sirop !

Cela s’explique par la composition de la sève, laquelle est majoritairement composée d’eau, avec une concentration en sucre soluble de 2 à 5 %. Plus la teneur en sucre est basse, plus il faut de sève pour obtenir du sirop. Le processus de production nécessite donc de recueillir d’importantes quantités de sève et de la transformer à travers plusieurs étapes complexes, ce qui réduit considérablement le volume de sirop obtenu par rapport à la sève initiale. C’est la raison pour laquelle le sirop d’érable est une délicieuse friandise, qui peut coûter cher.
Cependant, certains arbres « plus sucrés » présentent des concentrations de sucre remarquablement élevées.
C’est là que le clonage entre en jeu.
Le principe est simple : en sélectionnant des arbres avec une concentration élevée en sucre dans leur sève – potentiellement le double de celle d’un arbre moyen –, et en les clonant, nous pourrions enrichir les érablières. Cela permettrait de réaliser d’importantes économies de production et de réduire les coûts énergétiques, tout en générant un sirop moins coûteux, et donc des bénéfices accrus pour les producteurs.
Comment clonons-nous un érable ?
Imaginons-nous devant un érable présentant un trait désirable que nous souhaitons conserver. Comment devons-nous procéder ?
La méthode la plus simple serait de prélever une petite bouture sur les branches de l’arbre. Bien que cette méthode soit efficace pour de nombreuses plantes ornementales, comme les rosiers, elle est plus délicate pour les érables, en raison de leur faible taux de réussite à l’enracinement.
Une méthode plus avancée, souvent utilisée, est la« culture de tissus », laquelle utilise les tissus de croissance actifs trouvés dans les bourgeons des arbres. Cette technique permet de cultiver rapidement de nombreuses plantes à partir d’une petite quantité de tissu, facilitant la production efficace de clones génétiquement identiques. Cependant, la culture de tissus est une technique de laboratoire exigeante, nécessitant un équipement spécialisé et une expertise, ce qui la rend relativement coûteuse et techniquement complexe.
À l’Université du Québec à Chicoutimi, nous explorons actuellement l’efficacité du « marcottage aérien », qui consiste à induire la formation de racines sur une branche toujours attachée à la plante mère. Il s’agit d’une technique qui a l’avantage d’être aussi simple qu’accessible, puisqu’elle peut être réalisée directement sur le terrain sans nécessiter d’installations de laboratoire.

Cette technique présente également l’avantage de produire des plantes qui ont déjà une taille considérable, allant jusqu’à un mètre et demi selon nos tests, et qui sont donc plus robustes. Nos expériences préliminaires ont montré des résultats prometteurs, avec des taux de réussite proches de 100 % pour l’érable à sucre, l’érable rouge et l’érable argenté. Ces travaux démontrent le potentiel du marcottage aérien pour une propagation efficace et fiable de ces précieuses espèces d’arbres.
Un jeu d’attente
Cloner les érables pourrait non seulement augmenter la production de sirop en réduisant les coûts, mais aussi représenter une autre stratégie pour faire face à l’imprévisibilité des productions annuelles due au changement climatique. Il ne s’agit pas simplement de maintenir les traditions vivantes ; il importe également de les rendre pérennes pour les générations à venir.
Identifier une technique de clonage efficace constitue seulement la première étape d’un projet à long terme. Le véritable test de ces efforts – la teneur en sucre de la sève – ne sera révélé que lorsque les arbres clonés auront atteint une taille considérable et seront arrivés à maturité.
C’est un jeu d’attente qui nécessitera encore quelques années, alors que ces jeunes érables grandissent et réalisent leur potentiel. Entre-temps, nous pouvons tous apprécier le sirop d’érable sucré que le Québec a à offrir. Après tout, les bonnes choses viennent à ceux qui savent attendre – même pour le sirop d’érable !