Les changements de saison ne sont pas seulement liés aux conditions météorologiques, mais aussi à de multiples modifications dans les rythmes et les habitudes de vie.
Les valeurs morales sont les principes qui guident la perception qu’on a du bien et du mal, et de ce qui est bon ou mauvais. Elles façonnent nos préjugés, nos idéologies politiques et de nombreuses attitudes et actions qui en découlent.
Il est tentant de croire que les valeurs morales d’une personne sont stables dans le temps et selon les circonstances, et dans une certaine mesure c’est le cas – mais pas entièrement. En fait, elles sont malléables et peuvent changer en fonction des pensées, des sentiments et des motivations qui surgissent dans différentes situations.
Dans le cadre de notre recherche, nous avons examiné si les valeurs morales pouvaient également se modifier au fil des saisons.
Des valeurs en mouvement
En plus des changements météorologiques, les saisons sont marquées par toutes sortes de transformations dans notre environnement et notre rythme de vie, qu’il s’agisse du grand ménage du printemps, du temps passé en famille l’été, des achats de la rentrée à l’automne ou des préparatifs pour les vacances d’hiver.
Par conséquent, les changements saisonniers peuvent modifier nos pensées, nos sentiments et nos actions. La plupart des gens savent que les conditions météorologiques peuvent avoir des effets sur l’humeur, mais ce n’est que la partie émergée de l’iceberg. Des études en psychologie ont révélé des effets sur l’attention et la mémoire, la générosité, les préférences en matière de couleurs et bien d’autres aspects.

C’est ce qui nous a poussés à examiner, dans une étude récente, s’il pouvait y avoir des cycles saisonniers dans les valeurs morales auxquelles les gens adhèrent.

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Nous nous sommes penchés sur cinq principes de base que des recherches antérieures ont désignés comme étant des valeurs morales fondamentales. Deux de ces principes – ne pas faire de mal à autrui et traiter les gens de manière équitable – ont trait aux droits individuels et sont qualifiés de valeurs « individualisantes ».
Trois autres principes – la loyauté envers le groupe, le respect de l’autorité et le maintien des traditions – favorisent la cohésion du groupe et sont qualifiés de valeurs « contraignantes ».
La plupart des gens adhèrent à toutes ces valeurs, mais la priorité qu’ils leur accordent diffère, et cela peut avoir des incidences importantes. Les personnes qui privilégient les valeurs individualisantes sont plus libérales sur le plan politique, tandis que celles qui privilégient les valeurs contraignantes sont plus conservatrices et punitives, et expriment davantage de préjugés à l’égard des groupes marginaux.
Cycles saisonniers
Les saisons influencent-elles le degré d’adhésion à ces valeurs morales fondamentales ? Pour le savoir, nous avons obtenu des données de YourMorals, un site web de recherche qui évalue l’adhésion déclarée des gens à ces cinq valeurs morales fondamentales à l’aide de sondages en ligne.
Nos analyses se sont concentrées sur les valeurs déclarées par 232 975 personnes interrogées aux États-Unis sur une décennie (2011-2020). Les résultats n’ont révélé aucun cycle saisonnier dans l’adhésion aux valeurs individualisantes, mais un cycle est apparu de façon évidente dans leur adhésion aux trois valeurs morales contraignantes.
Ce cycle saisonnier est bimodal, avec deux pics et deux creux chaque année : les Américains prônent davantage les valeurs morales contraignantes (valorisation de la loyauté, de l’autorité et des traditions de groupe) au printemps et à l’automne, et moins au milieu de l’été et de l’hiver. Le cycle est apparu année après année.

Cette tendance dans les valeurs morales contraignantes n’est pas propre aux États-Unis. Des analyses de données provenant du Canada et d’Australie ont révélé des tendances similaires : les Canadiens et les Australiens soutiennent aussi davantage les valeurs contraignantes au printemps et à l’automne, et moins au cœur de l’été et de l’hiver.
Fluctuations de l’anxiété
Comment expliquer ce cycle dans l’adhésion aux valeurs morales contraignantes ? Cela pourrait avoir un lien avec la perception de la menace, qui incite les gens à se rassembler au sein d’un groupe. Des recherches antérieures ont établi un lien entre ce phénomène et l’adhésion accrue à des valeurs morales contraignantes.
Pour valider cette hypothèse, nous avons analysé les données relatives à une émotion associée à la perception de la menace : l’anxiété. Les résultats ont révélé que l’anxiété déclarée par les Américains présentait le même cycle saisonnier bimodal, et 10 ans de données sur les recherches Google des Américains pour des mots liés à l’anxiété ont pointé dans la même direction. Le cycle de l’anxiété pourrait expliquer celui des valeurs contraignantes.

Cette interprétation soulève une nouvelle question : d’où vient la fluctuation saisonnière de l’anxiété ? Bien que nous ne puissions que spéculer, nos analyses sur les valeurs morales ont permis de trouver un indice intriguant. Le creux estival dans l’adhésion des Américains aux valeurs morales contraignantes était plus important dans les endroits où les changements de température sont plus marqués. Mais la baisse au milieu de l’hiver ne semblait pas influencée par ce facteur.
Il pourrait se passer quelque chose de similaire avec l’anxiété : la diminution en été serait attribuable à des conditions météorologiques agréables, alors que celle au milieu de l’hiver serait liée aux vacances.
Une arme à double tranchant
Quelle qu’en soit la cause, les cycles saisonniers des valeurs morales contraignantes peuvent avoir des conséquences sur la vie des gens, pour le meilleur ou pour le pire. Ces valeurs favorisent la cohésion, la conformité et la coopération au sein des groupes, ce qui peut s’avérer bénéfique, notamment pour faire face aux crises.
Ainsi, les groupes pourraient mieux affronter les crises qui surviennent au printemps et à l’automne que celles qui se produisent en été et en hiver.
Toutefois, les valeurs morales contraignantes suscitent la méfiance à l’égard des personnes qui n’adhèrent pas aux normes et aux traditions du groupe. Par conséquent, les préjugés envers les immigrés, les minorités raciales, les personnes LGBTQ+ et toute autre personne perçue comme différente peuvent aussi connaître des cycles saisonniers.
Les personnes qui adhèrent le plus à des valeurs contraignantes sont également plus punitives, de sorte qu’il pourrait y avoir un effet saisonnier sur la prise de décision judiciaire dans les millions d’affaires juridiques traitées chaque année.
Et compte tenu du lien entre valeurs morales contraignantes et attitudes conservatrices, il pourrait exister des incidences en politique. Il serait intéressant d’évaluer si la date des élections (qu’elles aient lieu en été ou en automne) peut avoir un effet subtil sur le vote – ce qui, dans le cas d’une élection particulièrement serrée, pourrait même en influencer le résultat.