Menu Close
Une foule dans une rue, avec des édifices en arrière-plan
Une foule participe à un festival sur College Street, à Toronto, le 15 juin 2024. Le poids démographique des francophones hors Québec est passé de 6,1 à 3,5 % entre 1971 et 2021. (Shutterstock)

L’immigration seule ne rétablira pas le poids démographique des francophones hors Québec

Il est essentiel que le gouvernement canadien adopte une lentille linguistique pour tenir compte des effets de ses politiques en immigration sur les communautés francophones et acadiennes en situation minoritaire (CFASM).

En 2021, le Canada comptait 8,3 millions d’immigrantes et d’immigrants, représentant près du quart (23,0 %) de la population canadienne. Entre 2016 et 2021, environ 1,3 million de personnes nées à l’étranger ont immigré au Canada.

Dans son Plan des niveaux d’immigration pour 2024-2026 présenté en novembre 2023, le gouvernement canadien prévoit des cibles de 485 000 en 2024 et de 500 000 en 2025 et en 2026. Selon des projections effectuées par Statistique Canada, la proportion d’immigrantes et d’immigrants et de leurs enfants nés au Canada atteindra environ 50 % de la population canadienne en 2041.

Ma collègue Josée Guignard Noël ainsi que moi-même travaillons à l’Institut canadien de recherche sur les minorités linguistiques. Nos recherches fournissent des données pertinentes à partir desquelles peuvent s’orienter les divers intervenants et intervenantes des minorités de langue officielle et les décideuses et décideurs publics en matière linguistique. Nous estimons que les effets des politiques en immigration sur les communautés francophones hors Québec et acadiennes doivent être pleinement pris en compte.

Le poids démographique des francophones

Le gouvernement canadien et les organismes porte-paroles des communautés francophones et acadiennes travaillent de concert depuis plus de 20 ans pour développer des stratégies de recrutement, d’accueil et d’intégration de la population immigrante francophone dans les communautés. L’immigration est vue comme une planche de salut au déclin démographique des CFASM.

Le Plan d’action pour les langues officielles 2023-2028 prévoit accélérer le rétablissement du poids démographique des francophones grâce à l’immigration francophone, poids qui est passé de 6,1 à 3,5 % entre 1971 et 2021.


L’expertise universitaire, l’exigence journalistique.

Déjà des milliers d’abonnés à l’infolettre de La Conversation. Et vous ? Abonnez-vous aujourd’hui à notre infolettre pour mieux comprendre les grands enjeux contemporains.


Une cible de 4,4 % d’immigration d’expression française en milieu minoritaire au Canada a été fixée en 2003 et devait être atteinte en 2008. Cette date butoir a ensuite été repoussée en 2023, mais l’objectif a été atteint en 2022. Autrement dit, 4,4 % des personnes immigrantes devaient être francophones. Ce chiffre correspondait au poids démographique des francophones en 2001.

Une approche simpliste

Un rapport du Commissariat aux langues officielles (CLO) du Canada a toutefois soutenu que l’établissement d’une telle cible pour espérer rétablir le poids démographique des francophones reflétait une approche simpliste.

D’une part, d’autres facteurs que l’immigration influencent le poids démographique (fécondité, transmission linguistique, mobilité géographique, etc.). D’autre part, même si on rétablit le poids démographique des francophones, une proportion de ces personnes immigrantes intègrent la société anglophone.


Read more: Hors Québec, le français a reculé partout au Canada depuis 1971. Quelles stratégies adopter ?


L’étude du CLO montre que de 2001 à 2020, il aurait fallu en moyenne 6 000 personnes immigrantes supplémentaires par année pour atteindre la cible, soit 119 656 personnes pour cette période.

Intégration des personnes issues de l’immigration

De nouvelles cibles ont été établies pour 2024 (6 %), 2025 (7 %) et 2026 (8 %).

À supposer qu’elles soient atteintes, il reste à savoir dans quelle mesure les personnes immigrantes intégreront les CFASM. En effet, des données du recensement donnent une idée de l’attraction qu’exerce l’anglais auprès de la population immigrante francophone. Par exemple, 36,4 % des immigrantes et des immigrants de langue maternelle française (excluant l’anglais) parlent le plus souvent l’anglais à la maison.

Nous pouvons constater que plus la période d’immigration est ancienne, moins le français est la langue parlée le plus souvent à la maison, passant de 61,0 % pour les immigrants arrivés de 2011 à 2021 à 29,3 % chez les immigrants arrivés avant 1980.

Si nous examinons la langue parlée le plus souvent à la maison chez les personnes immigrantes qui n’ont ni le français ni l’anglais comme langue maternelle, seulement 0,3 % parlent le français à la maison, tandis que 41,2 % parlent l’anglais et 58,4 % ne parlent ni le français ni l’anglais. Là aussi, nous observons que plus la période d’immigration est ancienne, plus l’anglais est la langue parlée le plus souvent à la maison.

Autrement dit, à long terme, les immigrantes et les immigrants allophones adoptent très majoritairement l’anglais à la maison.

Ces données reflètent les tendances observées dans l’Enquête sociale canadienne en 2022-2023 de Statistique Canada sur les changements de comportement linguistique à la maison chez la population immigrante. On y a observé qu’

[a]u Canada hors Québec, environ 13 % des immigrants qui parlaient uniquement une langue non officielle le plus souvent à la maison cinq ans avant l’enquête ont adopté l’anglais comme langue parlée le plus souvent à la maison, ou le parlent désormais à égalité avec leur langue non officielle à la maison, alors que moins de 0,1 % des immigrants ont adopté le français comme langue le plus souvent parlée à la maison ou le parlent désormais à égalité avec leur langue non officielle à la maison.


Read more: La Cour suprême du Canada a tort de ne pas traduire ses décisions rendues avant 1970


Un autre indicateur de la capacité d’intégration des CFASM est la langue de travail, le travail étant un lieu de socialisation et d’intégration central chez les personnes immigrantes. En 2021, au Canada hors Québec, 22,6 % des immigrantes et immigrants de langue maternelle française et ayant un emploi utilisaient le français le plus souvent au travail, 8,8 % utilisaient le français et l’anglais et 68,2 % utilisaient l’anglais. Chez la population immigrante allophone et anglophone, la très grande majorité utilisait l’anglais au travail.

Une vision globale

La stratégie en immigration ne repose pas seulement sur des efforts qui doivent être menés pour recruter des personnes immigrantes francophones, mais également sur la capacité de les intégrer dans un contexte minoritaire où l’anglais exerce une forte attraction.

Les données du recensement de Statistique Canada offrent deux variables qui nous donnent un premier aperçu de la dynamique d’intégration de la population issue de l’immigration, soit la langue parlée à la maison et la langue utilisée au travail. D’autres variables sont nécessaires pour saisir cette dynamique. Ces données montrent néanmoins l’attraction qu’exerce l’anglais sur la population immigrante francophone et, de manière plus forte, allophone.


Read more: Plus de 50 ans après son adoption comme politique officielle, le bilinguisme d’Ottawa reste symbolique


Si nous voulons que l’immigration contribue au rétablissement du poids démographique des CFASM, les analyses servant à établir des cibles en immigration francophone doivent tenir compte de l’attraction de l’anglais.

Dans le même temps, il importe de renforcer la capacité d’intégration des communautés francophones, notamment par la consolidation des services d’accueil et d’intégration des personnes immigrantes, mais également par une stratégie économique francophone qui mise sur la création d’emplois en français et par des mesures d’arrimages des personnes immigrantes francophones à des postes qui demandent des compétences en français.