Depuis la fin de la vague progressiste des années 2000 et 2010 en Amérique latine, la droite s’est réinventée pour reprendre le devant de la scène.
Outre le libertarisme autoproclamé de Javier Milei en Argentine, les manifestations géantes contre le président de gauche Gustavo Petro en Colombie et le gouvernement de plus en plus autoritaire de Nayib Bukele au Salvador, une pléthore d’influenceurs et de personnalités médiatiques latino-américaines défend désormais les positions conservatrices avec véhémence.
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Et, ce mois-ci, des candidats de la « nouvelle droite » se présentent aux élections municipales au Chili et aux élections générales en Uruguay.

Qu’est-ce que la Nouvelle Droite ?
Les chercheuses Lindsay Mayka et Amy Smith définissent la nouvelle droite comme un ensemble diversifié d’individus et d’organisations visant à maintenir les hiérarchies sociétales perçues comme traditionnelles ou naturelles.
La différence avec la droite traditionnelle tient à son attitude quant à la démocratie et les enjeux culturels. Alors que celle-ci en faisait peu de cas, priorisant les questions économiques et de la lutte au communisme, la Nouvelle Droite y tient, mais elle instrumentalise les institutions démocratiques pour raffermir sa prise sur le gouvernement et influencer les enjeux culturels.
Par ailleurs, cette droite latino-américaine s’intéresse d’abord aux questions de genre et de sexualité plutôt qu’à l’immigration, qui domine le discours de la droite occidentale.
Les controverses
La sexualité intéresse plus particulièrement cette nouvelle droite latino-américaine. Sur le terrain parmi des militants de la droite colombienne, j’ai moi-même pu constater que des groupes très divers – libertaires économiques, évangélistes antiavortement et jusqu’au-boutistes sécuritaires – s’accordaient tous à vouloir contrôler la sexualité des autres.

Au début de l’année, le président salvadorien Nayib Bukele a ordonné que le système éducatif retire tous les contenus liés au genre. En Argentine, Javier Milei s’en prend régulièrement aux droits reproductifs des femmes. Quant au Pérou, le gouvernement définit les identités transgenres comme un « problème de santé mentale ».

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Ces efforts, qui marginalisent les personnes aux identités diverses, maintiennent les modèles hétérosexuels et binaires au sommet de la hiérarchie sociale.
Ces manifestations d’autoritarisme s’alignent parfaitement sur un autre des thèmes favoris de la Nouvelle Droite : la répression de la criminalité et l’obsession sécuritaire.
Le Salvadorien Nayib Bukele en inspire plus d’un sur ce plan, notamment par la construction de mégaprisons, qui intéresse particulièrement les gouvernements argentin et équatorien.
Et un peu partout, les politiciens reprennent le « modèle Bukele » afin de gagner des voix.
Sexualité, criminalité
Mis à part quelques pays, la nouvelle droite latino-américaine adhère assez peu cependant aux thèses anti-immigration.
Ce n’est pas faute de migrants. En 2023, plus de six millions de Vénézuéliens ont émigré vers d’autres pays de la région. Divers pays d’Amérique latine sont des carrefours migratoires pour ceux qui cherchent à entrer aux États-Unis, alors que d’autres sont aux prises avec d’importants déplacements internes.
Pourtant, les positions antimigrantes ou nativistes ne sont pas monnaie courante, même si la nouvelle droite cherche à maintenir les populations blanches et métisses de même que les valeurs chrétiennes au sommet de la hiérarchie sociale au détriment des communautés indigènes et noires.

Stratégies
Dans son répertoire habituel d’action politique, la droite traditionnelle latino-américaine a souvent usé des coups d’État et des dictatures militaires, surtout avant les années 1990, mais aussi après.
Mais la nouvelle droite préfère utiliser les outils démocratiques pour attaquer les institutions de l’intérieur et maintenir son emprise.
Ses grandes personnalités se font donc élire démocratiquement – pour ensuite concentrer le pouvoir dans l’exécutif en sapant la séparation des pouvoirs.

Le Salvadorien Nayib Bukele, par exemple, contrôle désormais les pouvoirs législatif et judiciaire. Au Brésil, Jair Bolsonaro a tenté de faire de même, avant d’être contrecarré par la victoire du gauchiste Lula da Silva en 2022.
La nouvelle droite est également passée maître dans l’art d’utiliser les tribunaux pour faire avancer son programme et restreindre les droits des citoyens marginalisés.
Son cahier de jeux comprend désormais des tactiques jadis typiques de la gauche, comme l’organisation populaire et l’activisme social. Ce sont d’ailleurs des mouvements sociaux qui ont joué un rôle déterminant dans la chute de Dilma Roussef au Brésil en 2018 et la victoire de Jair Bolsonaro.
En Colombie, les mouvements sociaux de droite descendent systématiquement à la rue pour protester contre le gouvernement de gauche.
Les églises évangéliques, qui contestent le monopole traditionnel de l’Église catholique chez les conservateurs, jouent également un rôle plus visible au sein de la nouvelle droite. Au Brésil, elles constituent depuis longtemps une force électorale importante, mais leurs résultats sont plus mitigés ailleurs.

Implications futures
La nouvelle droite continue donc d’influencer le débat public et les diverses sociétés latino-américaines par le biais de l’activisme de rue et des médias sociaux, ainsi que par la politique institutionnelle.
Et la perspective de nouvelles avancées électorales l’an prochain au Chili et en Équateur, notamment, est bien réelle.
Dans une région marquée par l’exclusion et l’inégalité et où la nouvelle droite au pouvoir porte régulièrement atteinte à la démocratie et aux droits des communautés marginalisées, il importe donc d’y voir clair quant à ses stratégies et ses priorités.